par Jérôme
le 23 septembre 2014 à 22:48
Ce 24 Septembre sort nos écrans le quatrième film d'Andreï Zviaguintsev, Leviathan , qui remporta le prix du scénario à Cannes 2014. Depuis le mois de mai, la Russie s'est encore plus illustrée dans les colonnes de l'actualité. Et la puissance de l'œuvre radicale que nous propose de découvrir Andreï Zviaguintsev devrait marquer les esprits des spectateurs les plus enclins à découvrir une vision plus intime mais douloureuse de la Russie actuelle.
Andreï Zviaguintsev fut révélé en 2003 grâce au film Le Retour qui se démarquait déjà par une incroyable ambition visuelle fascinante et glaçante. Les talents de mise en scène du réalisateur furent confirmés ensuite avec Le Banissement en 2007 et Elena en 2011. Et voilà que cette même puissance visuelle et émotionnelle transpire tant et si bien de Leviathan que nous avons l'impression d'assister à un film néo-classique imprégné des œuvres de Tarkovski et surtout d'Eisentein. Les plans sont de toute beauté et d'une précision redoutable. C'est un peu comme si l'histoire de Kolia qui se bat pourtant contre la corruption était filmée sous un angle de « banalité » généralisée et résignée. La Russie moderne laisse la fatalité progresser et s'abattre brutalement. Fatalité qui s'exprime dès le début du film au travers des paroles de la greffière au tribunal et la violence de son débit de paroles… Un premier choc.
La question que nous pose alors le scénario de Leviathan est la suivante : que reste-t-il ensuite aux citoyens russes quand les valeurs telles que la démocratie et les relations sociales sont corrompues? La famille ? La religion ? La vodka ? Et après ?... le scénario de Leviathan développe son implacable démonstration pour frapper le spectateur aussi violemment que ces vagues qui s'éclatent sur les rochers qui ne sont pas si inébranlables qu'ils n'y paraissent.
Le réalisateur a déclaré au sujet du titre du film : « Initialement, le film s'appelait Le Paternel. C'est en relisant le Livre de Job que le titre Léviathan m'est venu à l'esprit. Puis j'en ai parlé avec une amie philosophe qui m'a demandé si c'était lié à Hobbes, que je n'avais pas lu auparavant. Elle m'a raconté de quoi retournait le livre et j'ai compris que ce film ne pouvait s'appeler qu'ainsi. Je me suis plongé dans la lecture et dans l'idée maîtresse que sous-tend Hobbes : l'homme, ayant compris qu'il va être bientôt plongé dans la guerre « de tous contre tous », invente l'État pour que cette guerre n'arrive pas. L'État intervient ainsi pour lui garantir une protection sociale, pour le défendre, le protéger. C'est la création même du système des relations sociales qui peut empêcher la nature humaine de plonger les hommes dans la guerre « de tous contre tous ». En échange de ces garanties, l'homme abdique sa liberté au profit de l'État. »
Cette idée maitresse sur le rôle initial de l'Etat et la place de l'Homme dans la société Russe contemporaine est essentielle pour comprendre la teneur du film d'Andreï Zviaguintsev. Ajoutez à cela les (nombreuses) figures de l'Eglise orthodoxe qui enfoncent cette impression de situations préconçues aux réponses convenues et vous voilà dans un univers qui ne laisse plus aucune place à la Liberté. Nous n'avons pas la prétention de lister toutes les références bibliques et symboles religieux mais d'autres que nous pourraient bien relever un tel défi.
Pour l'heure, nous vous conseillons vivement de ne pas rater Leviathan en salles. Ce nouveau sommet d'Andreï Zviaguintsev est un « brulôt » nécessaire qui arrive à point nommé au milieu du contexte géopolitique actuel. Techniquement, le film est un concentré contemporain du Cinéma des grands auteurs classiques russes : mise en scène brillante, interprétations habitées, et un scénario « monstrueux ». Le choc est total.
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