par Jérôme
le 23 novembre 2014 à 05:47
Cannes 2014. The Search. Les réactions sont mitigées. Une partie de la presse tire sur le film après sa projection du matin. En soirée, le public lui réserve un accueil plus chaleureux comme vous pouvez le voir dans notre vidéo ci-dessous.
Pour toute la rédaction de Cannes en Live, nourrie aux programmes de Canal+ et admiratrice du réalisateur oscarisé de The Artist , la priorité du dernier festival de Cannes était bel et bien de découvrir The Search, le cinquième film de Michel Hazanavicius.
Nous avons été quelque peu frustrés. Nous savions que le projet trottait dans la tête du cinéaste depuis très longtemps, que l'Oscar lui avait permis de réunir le budget nécessaire à la réalisation de ce film complexe, mélangeant les genres et en rupture avec les productions cinématographiques actuelles. Mais si la version cannoise de The Search était prometteuse, si l'immense envie de raconter cette histoire transpirait à l'écran, nous avions trouvé sa forme inaboutie.
Une semaine après la présentation du film, Michel Hazanavicius décide de repartir en salle de montage. Plusieurs réalisateurs, après avoir essuyé un retour mitigé de la part de la presse et du public lors de leur passage à Cannes, ont connu la même expérience : Nicole Garcia pour Selon Charlie, Guillaume Canet pour Blood Ties , ou encore Richard Kelly pour Southland Tales. Au final, très peu ont réussi à améliorer notablement leur film.
C'est sans réelle attente que nous nous sommes donc rendu à la projection de la nouvelle version, remontée et raccourcie de près de 20 minutes, et qui sera celle distribuée en salles à partir du 26 novembre. Deux heures plus tard, nous sommes sous le choc. L'émotion est palpable dans toute la salle, et les spectateurs applaudissent à tout rompre dès le début du générique de fin.
Michel Hazanavicius a réussi son pari : fixer dans nos mémoires cette histoire de destins croisés en pleine guerre de Tchétchénie. The Search est à la fois un saisissant brûlot antimilitariste et une fable humaine profonde dont la puissance émotionnelle nous a laissé sans voix. Dans la lignée de Traffic de Steven Soderbergh, le nouveau montage constitue un patchwork édifiant qui prend aux tripes, et ne vous lâche plus longtemps après la projection. Comme si ce remontage avait permis au cinéaste de mûrir encore plus cette histoire complexe pour mieux nous la restituer.
Après cette projection, l'envie d'en savoir plus sur le processus artistique, et notamment ce remontage, nous démange. Un processus créatif est un chemin de croix lent, long et douloureux. Les films présentés à Cannes sont souvent terminés dans la précipitation afin d'être montrés à temps au cours du festival. La date de cette projection arrive parfois trop tôt sans que le réalisateur ne soit parvenu à l'aboutissement de ce processus.
En apprenant que le réalisateur François-Régis Jeanne (auteur des remarquables documentaires Qui veut la peau d'Olivier Marchal ? et Fucking Kassovitz), avait dégainé sa caméra sur le tournage de The Search, nous l'avons contacté. En pleine élaboration de son nouveau projet Dans la peau de Michel Hazanavicius, il revient en exclusivité pour Cannes en live sur les secrets de tournage du film.
« J'ai eu la chance de suivre Michel pendant une grande partie de la création du film, puis ensuite lors des différentes projections test, avant et après Cannes. Michel, Bérénice et l'ensemble de l'équipe du film m'ont complètement ouvert la porte. J'en ai profité. Voici quelques-unes de mes impressions.
« Michel Hazanavicius est un punk »
Je crois pouvoir dire que Michel a une vraie ambition, et que d'une certaine façon, sous son air calme, c'est un punk. Il fait le film qu'il a envie de faire même si ça ne correspond pas à un genre consacré. Le paradoxe du cinéma, c'est que chaque film est un prototype mais qu'en même temps, tous les financiers ont besoin d'être rassurés par des recettes qui ont déjà fonctionné. Ici, aucune recette. Ni du côté du cinéma Hollywoodien, ni du côté d'un cinéma d'auteur. Son seul critère, c'est son envie.
Cette envie est née du sentiment d'injustice à l'égard d'un peuple qualifié de « terroriste ». Il s'est demandé pourquoi aucun film n'avait été fait sur le conflit. Il s'y est intéressé et ce qu'il a découvert l'a marqué. Il a voulu le retranscrire de la façon la plus juste. Et le film de Fred Zinnemann, « Les anges marqués » (1948), l'a inspiré et aidé à se lancer dans ce projet, même s'il s'en est finalement beaucoup démarqué.
« L'important c'est le regard »
C'est un film sur la capacité de garder son humanité dans un conflit. Il avait cette envie de film avant de faire « The Artist » et ce sont les Oscars qui lui ont permis de le faire. Je crois qu'il est convaincu que si le regard est suffisamment abouti, travaillé, fort, le film sera réussi. Michel parie sur l'intelligence du spectateur. L'intelligence et le discernement font partie de ses grandes qualités. Il cherche toujours à aller au-delà de la généralisation facile pour trouver la nuance. Par ailleurs, dans la vie et sur le plateau, l'homme au palmarès exemplaire refuse d'être pris pour un maître de cinéma. Il ne se voit pas comme ça. Et, au fond, je crois qu'il a une très grande forme de respect pour le public. Il le juge intelligent, ouvert, apte à ne pas être manipulé au-delà de l'histoire qu'on lui raconte. Et selon lui, cette histoire ne pouvait pas être racontée avec trop d'artifices.
« L'émotion mais pas à n'importe quel prix. »
Michel avait des partis pris de mise en scène forts. Notamment, il ne voulait pas que les conflits des personnages occidentaux prennent le pas sur ceux des personnages tchétchènes et russes. Deux des quatre histoires qui composent le film sont interprétés par des non-professionnels parce qu'il y a très peu de Tchétchènes acteurs de métier. Ça ne lui a pas fait peur. Hervé Jakubowicz, le directeur de casting, a parcouru le Pankisi, région à la frontière de la Tchétchénie, à la recherche de perles rares.
Autre parti pris de mise en scène : il ne voulait aucun score musical pour appuyer les émotions des personnages. Il voulait un film d'émotion mais sans forcer la dose. Ainsi, le ton est très différent du film original « Les Anges Marqués », qui penche bien plus vers le mélodrame. Il voulait garder ce côté brut dans chacune des histoires.
« Comment retranscrire différentes réalités de la guerre ? »
Comme le film est un « patchwork » de différentes réalités de la guerre, chaque réalité avait son propre tournage avec ses propres difficultés. Rien à voir entre diriger Maxim (le jeune homme qui joue le soldat Russe Kolia), Annette Benning, Bérénice Béjo, et le petit Abdul Rahim qui joue Hadji. C'était étonnant de voir passer Michel de séquences de jeu entre Bérénice et Annette Bening à de vieilles femmes Tchétchènes inexpérimentées en train de faire des blagues sous les bombes, ou encore de faire hurler toute l'équipe pour encourager Zurkha (qui joue la grande sœur), à donner le maximum d'elle-même. Chaque journée avait une tonalité très différente. Annette Benning et Bérénice Béjo ont joué le jeu de la lumière crue et du maquillage très léger. Loin du glamour d'« American Beauty », Benning était totalement incollable sur le sujet, puisqu'elle avait lu tous les articles d'Anna Politkovskaïa et le journal du soldat russe Arkady Babchenko, qui avaient inspiré Michel.
« L'expérience du tournage»
Michel a chargé la barque en terme de difficultés de tournage. Mettre en scène un enfant, on sait déjà que ça n'est pas facile. Tourner dans plusieurs langues étrangères en Géorgie, pays plus très habitué au cinéma et à priori plus affectif que rationnel, a donné lieu à d'authentiques moments d'incompréhension. Comme par exemple, au bout de cinq semaines, quand Michel demande à l'équipe pourquoi le tournage prend une demi-heure à trois quarts d'heure de retard chaque matin, parce qu'un type qui a les clefs du camion ne s'est pas réveillé.
Le film est devenu un parcours émotionnel pour Michel et Bérénice eux-mêmes. De la même manière que les scènes du film testaient les limites de la nature humaine, le tournage a été une grande expérience de vie pour tous. Le tournage de la première scène du film avec des « acteurs » qui avait réellement vécu le conflit a été très intense. Ils fondaient en larmes devant les séquences tournées la veille. L'oncle d'Abdul Rahim (qui joue le petit Hadji) est d'ailleurs plusieurs fois intervenu sur les scènes que jouait son neveu à cause des insultes contenues dans les dialogues : les Tchétchènes ont certaines règles qu'il faut respecter. Quand il a vu le film monté, il avait les larmes aux yeux, tant le film était fidèle à ce qu'il avait vécu dans la réalité.
« Cannes, la grande essoreuse »
Enfin, j'ai pu suivre de près l'essoreuse de Cannes. Le festival de Cannes, ça peut aussi être très brutal. Toute une rédaction crie au génie, et le lendemain, certains critiques se déchaînent, parfois de manière extrêmement violente. C'est Cannes, c'est le jeu. Les sifflements, les quelques tweets aussi rapides qu'incisifs. Puis le soir, à la projection publique, standing ovation. Qu'est-ce que ça veut dire? Plutôt que de s'attarder sur des attaques qui pouvaient presque sembler personnelles, Michel a réfléchi à ce que ces critiques pouvaient désigner dans le film. Une semaine après la projection cannoise, il a modifié le montage. Il a suivi le conseil de Billy Wilder « Laissez le spectateur faire l'addition que 2 et 2 font 4, il vous en sera reconnaissant pour toujours ». Il a enlevé les éléments qui « commentaient trop » le film. Ça ne semble presque rien, mais pourtant ça change énormément l'expérience du film. »
Michel Hazanavicius a eu raison d'écouter les conseils de Billy Wilder. Le résultat est sidérant.
Enfin, à ceux qui penseraient que The Search ne serait qu'une œuvre de propagande de plus au milieu d'une production cinématographique pré-calibrée, écoutez donc l'avis du réalisateur Danis Tanovic qui reçut l'Oscar du meilleur film étranger pour le fabuleux No Man's Land (découvert également à Cannes en 2001). Cette interview a été réalisée en août 2014 par François-Régis Jeanne sur le pont de Sarajevo, là où eu lieu l'assassinat de François-Ferdinand, l'évènement à l'origine de la première guerre mondiale.
« On ne peut pas gagner dans la guerre. C'est pour ça que je pense que c'est important d'en faire des films. » dit Danis Tanovic.
C'est devant une œuvre aussi audacieuse que The Search que nos âmes de cinéphiles se laissent aller à rêver que le cinéma peut aider à changer les choses. Dès le 26 novembre prochain, nous vous conseillons vivement de ne pas attendre pour découvrir le film.
Après les réussites publiques et artistiques des deux OSS 117 et de The Artist , Michel Hazanavicius délaisse un court instant la comédie, et nous offre une œuvre intense à portée universelle: c'est vraiment la Classe Américaine !
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