A l'occasion de la ressortie en salle de The Artist le 25 janvier, retour sur une déclaration d'amour au cinéma dont l'irrésistible ascension laisse sans voix (ok, elle était facile celle-là)
Baptisé au départ « Beauty Spot » (« Grain de beauté » en français), c'est finalement sous le titre de The Artist que le film de Michel Hazanavicius est annoncé hors compétition par Thierry Frémaux, lors de la conférence de presse du Festival en avril dernier. Un film muet, en noir et blanc, au format 1:33, en pleine mode 3D "tape à l'oeil" ? Voici un pari osé qui attise immédiatement ma curiosité cinéphilique ! Il faut dire que j'ai beaucoup aimé le charme rétro et particulièrement réussi du 1er OSS 117, réalisé par Hazanavicius, avec (déjà) le duo Dujardin/Béjo. L'auteur du cultissime "La classe américaine / le grand détournement" va-t-il une nouvelle fois faire montre de son incroyable créativité, ou va-t-il au contraire tirer sur la corde commerciale du pastiche visuel après un 2e volet d'OSS 177 décevant ? Le suspense est entier...
Comme dans un film, un rebondissement survient quelques jours avant l'ouverture du Festival : The Artist est officiellement annoncé comme le 20e film de la compétition ! Quand on se souvient des chiffres de la sélection 2011, faire partie du "top 20" final sur les 1715 films soumis aux sélectionneurs laisse augurer du meilleur. Mais la surprise fait rapidement place à une question : pourquoi le film rejoint-il si tard la compétition ? Thierry Frémaux aurait-il gardé une 20e place libre le plus longtemps possible dans l'espoir qu'un "gros film" très attendu puisse intégrer la compétition in extremis ? Après tout, c'est ce qui s'était passé en mai 2010 : une place en compét' avait était réservée jusqu'au bout pour The Tree Of Life (qui n'arrivera finalement sur la Croisette qu'un an plus tard, avec le succès que l'on sait).
48h avant la cérémonie d'ouverture du Festival et malgré un emploi du temps ultra chargé, le Délégué Général prend traditionnellement le temps (il faut le souligner) d'aller à la rencontre les cinéphiles au cinéma "La Licorne", à Cannes, pour présenter la sélection. Je profite de l'occasion pour poser ma question à un Thierry Frémaux relativement décontracté (quand on pense à la pression qui doit peser sur ses épaules à J-2), en polo/baskets (ça change du smoking dans lequel on est si habitué de le voir en haut des marches), et dont l'enthousiasme lorsqu'il parle Cinéma est toujours aussi communicatif (on l'écouterait pendant des heures). Au delà du fait d'atteindre un total de 20 films en compétition pour soumettre 2 films par jour au Jury, le Délégué Général me répond qu'après les très nombreux arbitrages ayant conduit à la Sélection présentée à la presse le 14 avril, un peu de recul à tête reposée permet de reconsidérer certains choix et de faire quelques ajustements (Je cite l'idée de mémoire, ne retrouvant pas dans mes notes la citation exacte de Thierry Frémaux)
Arrive enfin le dimanche 15 mai, jour de la projection officielle. Un coup de fil de Jérôme, qui est allé à la projection de 8h30, nous réveille. Vu que nous dormons très peu pendant le Festival (nous écrivons la nuit pour le blog), forcement, on râle un peu : "Non mais t'as vu l'heure ???". "Oui je sais, mais j'ai vu The Artist, c'est de la bombe !". Vers midi, à peine partis du QG de Cannes en Live !, Nico remarque que l'on a oublié le double des clés de voiture, et propose de faire demi-tour. Nous tenant pas compte de ce conseil avisé, nous continuons notre route et allons nous garer comme chaque jour dans le parking sous-terrain du Palais. Programme de la journée : The Artist à 14h pour Seb et Cécile, à 19h30 pour Nico et moi.
Comme il est extrêmement difficile d'obtenir les fameuses invitations pour les projections de gala de 19h, au dernier moment Nico décide de "sécuriser" en allant à la séance de 14h. Comme j'ai très envie d'encourager et d'applaudir toute l'équipe du film, je persiste : je tenterai ma chance à 19h30 ! Chacun laisse dans la voiture ce dont il n'a pas immédiatement besoin (mon smoking pour ce soir dans mon cas) et part vivre sa vie cannoise de son côté…
Après une balade sur la Croisette à l'affut de scènes cocasses à filmer pour les traditionnels épisodes vidéos de Cannes en Live, je retrouve le reste de l'équipe en fin d'après-midi, unanimement enchanté par le film. Il est maintenant temps pour moi de troquer ma tenue de plage contre mon smoking, resté dans la voiture, pour voir à mon tour ce film que j'attends depuis maintenant 2 mois.
Une simple question, anodine, banale, va ruiner ma journée : "Qui a les clés de la voiture ?". Et là… c'est le drame ! Impossible de remettre la main sur le trousseau de clés (et pour cause, il attendait sagement dans le coffre qui s'était autovérrouillé entre temps). Trop tard pour aller chercher le double des clés. Trop tard pour trouver un autre smoking. C'est mort. Même avec une invitation, si le « dress code » n'est pas rigoureusement respecté, pas de projection. La règle du Festival est aussi impitoyable qu'immuable. Avec mon beau short, mes converses et mon polo Cannes en Live, j'imagine la tête de la sécu si je me présentais à l'entrée du tapis !
Au loin j'entends la voix reconnaissable du speaker officiel du tapis annonçant l'arrivée de Jean Dujardin, Berenice Béjo et Michel Hazanavicius. Mais pourquoi n'a-t-on pas fait demi tour ce matin pour prendre le double des clés !!! Pourquoi ? J'applaudis l'équipe du film de loin, au milieu de la foule massée autour du Palais, avant d'aller noyer mon chagrin à la Terrazza Martini pour oublier les 5 mois d'attente avant la sortie en salle en octobre. Le soir même, mes camarades rédigent leur critique. Moi, je cherche le double des clés.
Le dimanche suivant, à l'issue d'un 64e Festival de Cannes exceptionnel, vient le moment d'établir notre palmarès. Si certains prix font l'unanimité, il n'en va pas de même pour le prix d'interprétation masculine. Seb, Jérôme, Nico et Cécile votent : 2 voix pour Jean Dujardin dans The Artist, 2 voix pour Michel Piccoli dans Habemus Papam de Nanni Moretti (le futur Président du Jury de Cannes 2012). Egalité. N'ayant pas vu The Artist, mon choix se porte sur Michel Piccoli. 3 voix contre 2. Les « Dujardinistes » crient au scandale et réclament absolument un prix pour The Artist (ça sera le prix du scénario). Si j'avais vu The Artist, aurais-je voté pour "Loulou" ? Probablement.
Le soir même, quelques minutes avant le début de la Cérémonie de Clôture, nous scrutons les images de la montée des marches retransmises sur l'immense écran du Grand Théâtre Lumière. Comme le Festival s'arrange pour faire revenir les équipes de film qui vont recevoir un prix, nos cerveaux s'agitent lorsque les couples Jean Dujardin et Alexandra Lamy, Michel Hazanavicius et Bérénice Béjo descendent de leurs voitures officielles. Nous en sommes certain, The Artist va avoir un prix. Mais lequel ? Les « Dujardinistes » se tournent vers les « Piccolistes » et nous lancent, façon "You're talking to me ?" de De Niro un : "Les gars, si Dujardin a le prix d'interprétation…"
Lorsque Robert De Niro dévoile le nom du gagnant, nos 2 « Dujardinistes » explosent de joie. Il faut réagir. Détourner leur attention. Vite. "Sinon, vous saviez que Uggie, le chien de The Artist, a gagné la Palme Dog ?" (vrai prix d'interprétation parodique à destination du meilleur chien dans un des films de la sélection officielle. Si si je vous jure)
Blague à part, l'émotion de Jean Dujardin recevant le prix d'interprétation masculine à Cannes, décerné par l'une de ses idoles est l'un des moments forts de la cérémonie. Robert de Niro est amusé, un peu gêné peut-être par la prosternation de notre "frenchie", mais semble heureux de ce choix. Et pour cause, il se murmurera après la cérémonie que l'acteur fétiche de Scorsese aurait souhaité que la Palme d'Or revienne également à The Artist. Or il existe une règle (non écrite il me semble) : un seul prix par film.
A l'issue de la cérémonie, profitant de l'accréditation presse accordée à Cannes en Live, je cours dans les couloirs du Palais en direction de la salle des conférences de presse. Compte tenu de mon niveau d'accréditation, je n'arrive pas à rentrer à la conférence de presse du Jury, prise d'assaut par des badgés de niveau supérieur. En revanche, j'arrive à rentrer à la conférence de presse des lauréats. Je me souviens encore très bien de l'immense bonheur de Jean Dujardin, qui n'en revenait toujours pas.
The Artist sort en salle le 12 octobre. Après la séance, en rentrant chez moi, je pense à plusieurs choses. D'abord, que le pari fou de Michel Hazanavicius est gagné. Ensuite, que Jean Dujardin n'a pas volé son prix. Enfin, que le contraste de la séance dans mon UGC souligne à quel point nous avons de la chance de pouvoir assister aux projections du Festival de Cannes.
En France, 1,5 millions de spectateurs vont voir le film. C'est peu. Cela ne place The Artist qu'en 27e position du Box Office France 2011. Le film sort aux Etats-unis le 23 novembre. Le phénomène dépasse les frontières de l'hexagone. 6 nominations aux Golden Globes 2012, ce qui est déjà remarquable, mais surtout 3 Golden Globes remportés : meilleur film, meilleur acteur, meilleur musique. Bien que les Golden Globes soient souvent considérés comme l'antichambre des Oscars, on n'ose croire à ce qui va pourtant devenir une réalité : The Artist est nommé aux Oscars 2012 ! Et pas qu'un peu : 10 nominations ! Le film français le plus nommé de l'histoire ! On le sait depuis vendredi dernier, mais 10 c'est aussi le nombre de nominations aux Césars 2012. Avec à ce jour 58 nominations et 22 prix remportés à travers le monde, le rêve éveillé que vit toute l'équipe du film depuis le Festival de Cannes va-t-il se finir en apothéose ? Rendez-vous le 24 février pour la cérémonie des Césars, et le 26 février pour les Oscars.
Gageons que la ressortie de The Artist va lui permettre d'avoir la carrière en salle qu'il mérite, et de tutoyer les sommets du Box Office au point, peut-être, de détrôner un film qui semble pour l'heure… intouchable.
En attendant, je vous propose de repartir en 1927 pour retrouver George Valentin et Peppy Miller dans un bêtisier. Muet, évidemment.
Olivier
Bravo pour cet article très intéressant et bien écrit, ça nous manquait ! :-)
Rédigé par : Blan | mercredi 01 février 2012 à 10:11
Pareil que Blandine ! En ajoutant que j'aurai préféré la palme d'Or pour The Artist et bien qu'admirant totalement la prestation de Jean Dujardin, Bérénice Béjo mérite autant d'être nommée pour un prix.
Rédigé par : Pauline | jeudi 02 février 2012 à 14:35
Merci :-)
Rédigé par : Olivier | vendredi 03 février 2012 à 00:34