par Jérôme
le 29 septembre 2014 à 11:03
Le film choc révélé et auréolé lors de la dernière édition de la semaine de la Critique à Cannes sort sur les écrans français le 1er octobre. Il reçut à Cannes en mai dernier le prix du jury Révélation France4 des mains de la réalisatrice française Rebecca Zlotowski (Belle Épine, Grand central) ainsi que le grand Prix Nespresso de la semaine de la Critique présidée par la réalisatrice anglaise Andréa Arnold (Fish Tank ). Déjà à Cannes, le film n'avait laissé aucun festivalier indifférent... The Tribe est, en effet, une expérience sensorielle et physique: le film est entièrement en langue des signes, sans voix off, sans sous titres ni aucune musique additionnelle.
Pour vous résumer l'histoire : Sergey est sourd et muet. Il entre dans un internat spécialisé et subit aussitôt les rites de la bande qui fait régner sa loi à grands coups de trafic et de prostitution. Sergey va pourtant tomber amoureux d'Ana, membre de cette tribu…
Au premier abord, une des réussites du film est que celui-ci soit tout à fait compréhensible. Si une information importante reste vague au cours d'un plan, celle-ci est reprise plus tard par le scénario qui l'illustre en creusant l'idée première. Tout le reste est tout simplement évacué car finalement, c'est inutile à l'intrigue.
Techniquement, le réalisateur filme en usant de longs plans séquences que l'horreur du récit rendent parfois insupportables, notamment lors d'une scène clé où le spectateur retient sa nausée. Le travail sur le son est également extrêmement précis et saisissant. Pour un premier film, atteindre une telle expressivité des plans, des sons et des attitudes des corps est effectivement remarquable. Myroslav Slaboshpytskiy force son spectateur à se mettre en totale immersion : nous sommes à l'affut des moindres gestes des protagonistes et de tous leurs mouvements. Ce réalisateur très doué avait, avant The Tribe, tourné des courts métrages qui dénotaient déjà. Il revendique le style de son premier long-métrage comme un hommage au cinéma muet…Mais attention, on n'est pas chez Chaplin ou encore moins Buster Keaton !
Au contraire, The Tribe perturbe et malmène son spectateur comme le faisait Michael Haneke dans Funny Games ou encore Christian Mungiu dans le film 4 mois, 3 semaines 2 jours qui fut couronné de la palme d'or en 2007. On ne peut cependant pas s'empêcher de se demander "Pourquoi?...Pourquoi assistons-nous à une telle descente aux enfers? N'y a-t-il donc aucune échappatoire à de telles situations? La nature humaine est-elle à ce point sauvage? La réponse du réalisateur serait pourtant l'Amour...mais peut-il vraiment triompher en de telles circonstances? Nous n'avons pas toutes les réponses à la noirceur et à la radicalité de ce qui nous est délivré en spectacle. Le réalisateur avoue pourtant avoir travaillé auparavant en tant que reporter en rubrique criminalité, ce qui confère une inspiration singulière à ses histoires.
Myroslav Slaboshpytskiy s'est toutefois exprimé à Cannes au sujet de la violence de son film: "The Tribe est avant tout un film sur des gens très jeunes, capables de sentiments très purs et très forts: l'amour, la haine, la fureur, le désespoir. C'est une histoire universelle, un récit d'amour et d'initiation, l'histoire du passage à l'âge adulte dans un monde dur et cruel...peut être que si le film peut être choquant, ce n'est pas tant par sa violence, au fond, que parce que moi, l'auteur, je ne semble pas la condamner. En fait, j'ai essayé d'être au plus près de mes héros."
Chacun restera donc libre d'interpréter la violence de The Tribe comme il l'entendra: métaphore des jeux de pouvoir de l'état Ukrainien ou bien du système social en Ukraine, ou pour d'autres une provocante figure de style vaine qui n'est là que pour choquer le spectateur. En ce qui me concerne, je me suis posé beaucoup de questions et me suis très vite senti placé au même niveau que les protagonistes du film: comme eux, j'étais incapable de crier ou d'être entendu alors que j'étais spectateur d'images fulgurantes, certes fictives, mais si proches d'une réalité sociale existante en Europe. Cloué à mon fauteuil, je ne pouvais ni quitter la salle ni faire arrêter la projection et je restais muet…
The Tribe n'est pas un film gratuit. Le couronner doublement au palmarès de la Semaine de la Critique relevait d'une audace aussi folle que celle employée par le réalisateur dans son premier film. Placer ses personnages au cœur de l'image et de l'intrigue comme le fait Myroslav Slaboshpytskiy relève bien d'un grand talent. Cette focalisation sur le corps humain et ce que l'on en fait est unique et le résultat est aussi étrange que fascinant.
Enfin, une autre révélation dans The Tribe s'appelle Yana Novikova et elle est la comédienne principale du film. Elle est sourde et muette et depuis son enfance, elle rêvait d'être actrice. Sa mère lui disait alors que c'était impossible mais même elle a du mal à croire encore que cela soit arrivé. Avant de jouer Anna, Myroslav Slaboshpytskiy l'a préparé en lui faisant voir des films comme 9 songs de Michael Winterbottom, Alabama Monroe de Félix Van Groeningen ou encore Antichirst de Lars von Trier. Mais c'est en voyant les scènes de La vie d'Adèle d'Abdellatif Kechiche qu'elle comprit que l'amour au cinéma pouvait faire figure d'œuvre d'Art et qu'elle réussit à vaincre son appréhension pour arriver à tourner les scènes de sexe du film. La révélation féminine de Cannes 2013 a donné naissance à une nouvelle révélation en 2014 ! Alors que Yana Novikova adore désormais Adèle Exarchopoulos, elle a pu assister à Cannes en mai dernier, une projection du film Qui vive où l'actrice française (désormais mondialement connue) était présente et tient le premier rôle. Cannes est décidément un pays où les rêves deviennent réalité. En tous les cas, voilà bien un conte de fée de Cinéma et de festival de Cannes en totale contradiction avec l'âpreté de l'expérience The Tribe.
The Tribe est une œuvre extrême à réserver à un public averti. Amateurs de sensations fortes, cette expérience va vous laisser muet d'effroi. Et une fois le choc évacué, comme nous, vous allez en parler longtemps après sa vision et en rechercher les ficelles de sa puissance. Vous avez le droit de venir plus tard crier dans nos colonnes que nous vous avons conseillé un film scandaleux, ou au contraire, que nous avons eu raison d'insister pour vous pousser à découvrir cette œuvre unique. Nous vous répondrons alors que vous avez été bien courageux de vouloir tenter vous-même cette expérience qui ne peut que susciter des réactions contradictoires. Que vous soyez pour ou contre, il n'empêche que nous avons hâte de lire également vos impressions.
La bande annonce de The Tribe :
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