par Jérôme
le 08 décembre 2014 à 11:22
Abderrahmane Sissako est un réalisateur mauritanien et s'il vous est inconnu, vous allez (comme nous :-)) devoir apprendre à écrire son nom.
Timbuktu est l'un des plus beaux films qu'il nous ait été offert de découvrir cette année. A Cannes, nous sommes ressortis choqués et éblouis par la pudeur et la brutalité de cette fiction mauritanienne. Une belle ironie du sort alors que Thierry Frémaux oublia non intentionnellement en conférence de presse de citer la présence du film en compétition officielle.
Le film s'ouvre sur la course d'une gazelle en plein désert filmée en Cinémascope. Premier plan saisissant qui résume à lui seul la puissance du film. 2012. Nord du Mali. Kidane mène une vie simple et paisible dans les dunes, non loin de Tombouctou sous les jougs des extrémistes religieux. Il est entouré de sa femme Satima, de sa fille Toyan, et de Issan. Mais la paix fragile peut s'arrêter à tout moment et la sérénité peut fléchir sous le régime de terreur des djihadistes...
Plusieurs mois ont passé depuis Cannes d'où Timbuktu est injustement reparti bredouille et l'actualité a depuis rattrapé le sujet du film : Timbuktu réussit à exposer avec simplicité et justesse le fanatisme religieux. D'une certaine manière, on peut comparer ces qualités à celles du magnifique Persépolis de Marjane Sartrapi qui nous avait ébloui en 2007. Dans ces 2 œuvres, les femmes apportent la sagesse et la lucidité et illuminent un Monde envahi par la barbarie. Les nuances pudiques de la mise en scène renforcent leurs positions face à la répression locale. L'imperturbable sérénité des paysages du désert souligne enfin l'universalité des situations.
Une question nous taraude alors à laquelle le réalisateur même n'a pas de réponses: quelle place pour la foi quand la folie gagne les hommes et que la barbarie domine???
Il y a de la Grâce dans la mise en scène de Sissako qui conjugue une Poésie visuelle extrêmement rare dans les productions cinématographiques actuelles. L'exemple le plus frappant est la scène de l'"air foot": un match de football sans ballon (car interdit par les djihadistes) filmée au ralenti qui vous saisit alors qui nous étions hilares auparavant au détour d'un dialogue à propos de l'équipe de France de 1998. Poésie renforcée par une magnifique photo et des images superbes aussi bien dans les cadres que dans les paysages: Timbuktu est également une splendeur visuelle.
Nous voyons rarement des films africains dans les salles françaises (car peu distribués) mais Sissako est l'un des plus grands représentants du Cinéma issu du continent africain. Saviez-vous qu'il n'y a plus de salles de Cinéma au Mali? Nous avions déjà découvert l'un de ces précédents films Bamako en 2005 à Cannes. Depuis le film Bamako, Abderrahmane Sissako a eu 2 filles. Ce qui a très certainement influencé son choix de raconter ce fait divers traumatique sous l'angle de la paternité. Pourtant, c'est l'absence d'intérêt des médias occidentaux pour l'événement au cœur de l'intrigue qui fut le déclencheur.
Malgré la violence de son sujet, le spectateur n'est jamais pris en otage. Alors que nous nous apprêtons à voyager une dernière fois au pays des Hobbits, synonyme de divertissement issu des dernières innovations technologiques, ce grand film africain nous rappelle aux fondamentaux. Nous avons vibré. Nous avons été saisis.
Ne jamais sous-estimer Thierry Frémaux et sa capacité à nous faire découvrir de telles œuvres que je range désormais à coté de Persépolis ou de No Man's Land de Denis Tanovic. "Faire un film, c'est résister" a déclaré Sissako. Nous avons beaucoup de chance en France de pouvoir découvrir de si belles œuvres issues du continent africain qui risque fort de se retrouver dans le top 3 de vos films préférés de cette année.
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