par Jérôme
le 05 août 2014 à 02:09
Ce mercredi 6 aout sortira dans les salles françaises le très beau film de Nuri Bilge Cylan Winter Sleep , lauréat de la Palme d'Or du festival de Cannes 2014 .
Il y a 2 mois de cela, nous nous demandions qui irait voir le film en salles… Le titre du film résonne au premier abord comme une insulte à la douce période estivale actuelle. Pourtant, nous ne saurions que trop vous conseiller de vous laisser vous aussi tenter par l'expérience. Comme ce fut le cas pour nous mais également pour la présidente du jury Jane Campion , qui avoua également ses craintes quant à la longueur du film, vous pourriez facilement succomber à la beauté des dialogues et des images du film de Nuri Bilge Ceylan.
Alors pourquoi accorderiez-vous 3 heures et 16 minutes de votre temps en plein mois d'août à Winter Sleep alors que les films précédents du réalisateur turc étaient tous très lents, très silencieux et contemplatifs ?
Aydin est un ancien comédien qui tient un petit hôtel en Anatolie centrale (où les paysages des montagnes troglodytes enneigées sont de toute beauté) avec sa jeune épouse Nihal (également de toute beauté) et sa sœur Necla qui souffre encore de son récent divorce. L'hôtel devient le théâtre de leurs déchirements. Le film alterne des scènes de joutes verbales virulentes et des moments de répit laissant place à la réflexion.
Winter Sleep est décrit par son réalisateur comme une œuvre construite « sans penser à l'aspect commercial » et au scénario volontairement écrit « comme l'on écrit un roman ». Pour nous, Winter Sleep relève aussi bien du plaisir des yeux que des oreilles tant les dialogues sont savoureux et la beauté des paysages naturels turcs filmés y est sidérante.
C'est aussi un film très intimiste qui se permet d'aborder de manière très littéraire l'impact du temps sur les relations de couple et la cohésion familiale. Le temps semble donc s'être arrêté pour laisser place à des querelles familiales et des discordes conjugales universelles. Mais alors que les films précédents du réalisateur habitué de Cannes ne nous avaientt pas captivé auparavant, ce nouveau film de Nuri Bilge Ceylan nous a surpris et conquis. En filmant les effets du temps et ces diverses querelles, Nuri Bilge Ceylan déroule une belle et jubilatoire démonstration de possibles remises en question de l'être humain grâce aux effets du temps et de l'introspection. Après l'hiver (et les périodes d'usure et de destruction) viendra le printemps et son renouveau.
Nuri Bilge Ceylan est à l'origine diplôme d'ingénierie électrique (tiens, comme nous à Cannes en live !) et sa formation scientifique ne l'a pas empêché d'être très attiré très tôt par la littérature et le théâtre. Il avait cette histoire en tête depuis 15 ans. Inspiré de l'œuvre du dramaturge Anton Tchekhov, c'est avec son épouse, l'actrice Ebru Ceylan que Nuri Bilge Ceylan a co-écrit le scénario de Winter Sleep . « Nous écrivons ensemble depuis Les Climats. D'abord, nous nous attachons à la construction de l'histoire, puis à la rédaction des dialogues. En fait, chacun s'y met de son côté, puis nous en discutons. Au moment où arrive la décision de choisir tel ou tel dialogue il y a beaucoup de disputes, parfois assez violentes, mais elles nous aident à trancher entre plusieurs options. Le temps de l'écriture est assez court mais le temps de la dispute plus… long ! » déclarait le réalisateur au cours du festival.
Cette collaboration passionnée autour de l'écriture du scénario se ressent dans Winter Sleep qui alterne avec délicatesse les regards tendres puis cruels sur les protagonistes du film. Il faut une sacré expérience de la vie pour écrire de tels dialogues : les personnages féminins semblent avoir moins d'illusions que les hommes… A moins que ce ne soit le contraire ! Nuri Bilge Ceylan déclara aussi que pour lui, écrire un film dialogué était un réel défi qu'il a résolument pu relever grâce à la collaboration avec son épouse et qu'une nouvelle forme d'expression dans son Cinéma s'est désormais enclenchée. Chez les Ceylan : l'écriture comme l'Amour se fait à 2 !
Mais une chose est sûre : en amour, rien n'est jamais sûr. Le temps tient toujours un rôle majeur et il faut laisser le temps aux crises pour se résoudre. Dans Winter Sleep , le signe du début des hostilités arrive au cours d'un jet de pierre sur la voiture de Aydin… Et l'hiver des protagonistes de Nuri Bilge Ceylan va être rude, perdus dans une Turquie aussi reculée que contemporaine, incapables de se réaliser vraiment, touchant du doigt un bonheur posé juste là mais devenu inaccessible. On se parle trop, et on ne s'entend pas.
Pour la première fois, le cinéma de Nuri Bilge Ceylan que nous trouvions lent et contemplatif, nous est apparu ici étonnamment volubile. Et alors que le scénario avance sans aucune forme d'ennui, ce sont l'universalité du conflit des générations et nos insupportables différences plombant toutes relations intimes qui se dévoilent sur l'écran. Le travail de mise en scène est effectué en huit clos, étouffant comme peuvent l'être nos propres aveuglements une fois révélés.
Comme pour un roman que l'on ne peut plus refermer, on oubliera la longueur du film et connaître la fin prend des allures d'impératif. Et enfin, on finit par avoir le cadeau, le sésame qui nous ouvre les portes de l'écriture si maîtrisée de cette œuvre fleuve. Inattendue et romanesque. C'est dans son dernier tiers que Winter Sleep se rapproche le plus du cinéma de Bergman. Rien ne relève du mimétisme ni de l'artifice, dans la forme et le propos, le sujet est approfondi et rigoureusement pensé. Le cinéaste le revendique : « il n'y a rien à l'écran que je ne puisse justifier. Je peux expliquer les comportements et les paroles de chaque personnage. »
C'est ainsi que les contrastes entre la chaleur lourde des intérieurs et le froid des cœurs et du climat deviennent saisissants. En ce sens, la sortie de Winter Sleep en plein mois d'aout dans les salles françaises est donc une belle allégorie de l'expérience cinématographique qui nous est proposée.
Alors, qu'attendez-vous encore pour vous rendre dans les salles ? Nous avons hâte de lire vos impressions ! Bon Winter Sleep à toutes et à tous.